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Lettre ouverte à la nouvelle ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles

 
Lettre ouverte à la nouvelle ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles

"Madame Sarah El Haïry, vous avez désormais la responsabilité d'un secteur majeur"

 Succédant à Charlotte Caubel, Sarah El Haïry a été nommée, le 8 février, ministre déléguée chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles au sein du gouvernement de Gabriel Attal.

Dans une tribune au Media Social, en forme de lettre ouverte, Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, et Maxime Zennou, directeur général du Groupe SOS jeunesse, attirent l'attention de la nouvelle ministre déléguée chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles, Sarah El Haïry, sur les graves difficultés de la protection de l'enfance.

Madame la Ministre,

En charge de l’enfance, de la jeunesse et des familles, vous avez désormais la responsabilité d’un secteur majeur pour notre société et l’opportunité rare d’une approche globale et cohérente avec ces trois objets de politiques publiques fortement imbriquées.

La puissance publique nationale et territoriale a le devoir de développer des services de proximité de soutien à la parentalité et aux enfants en difficulté. Or, nous sommes encore loin de disposer des modes d’accueil de la petite enfance, qui connaissent une crise grave, et des dispositifs de protection de l’enfance nécessaires. La pédiatrie est en souffrance et vous savez l’extrême tension qui perdure sur la pédopsychiatrie. Et tout simplement, le mal-logement s’enkyste.

Force est ici d'observer que tous les dispositifs de proximité d'aide aux parents et aux enfants sont en grande souffrance : service social scolaire, service de santé des élèves, protection maternelle et infantile, mineurs isolés, accompagnement des enfants porteurs de handicap quand, d'ores et déjà, 18 départements ont supprimé la Prévention spécialisée.

Situations graves

Trois millions d’enfants sur quatorze vivent sous le seuil de pauvreté avec toutes les conséquences sur leur vie quotidienne, mais encore sur leur développement. Comme le relevait le Premier ministre, lui-même, trop d'enfants sont en souffrance mentale sans trouver les réponses adaptées. Ce n’est pas acceptable.

Comme n’est pas acceptable la crise que traverse la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) en déliquescence. L’image renvoyée aux victimes, à l’opinion et aux professionnels est calamiteuse.

La multiplication des situations graves et, sans doute, également notre plus grande sensibilité à ces situations se répercutent massivement sur le dispositif administratif et judiciaire de protection de l'enfance. Nombre de mesures de protection en faveur d'enfants, tenus publiquement comme étant en danger ou porteurs de handicap, ne sont pas mises en œuvre ou exécutées avec un grand retard.

Que vont devenir ces enfants et adolescents, d'ores et déjà en difficulté, et ces jeunes sans avenir positif, qui ne croient en rien, en tout cas pas dans la République pour répondre à ce qu'ils vivent et tiennent comme injuste ?

Travailleurs sociaux en souffrance

Force est également de relever la crise que traversent les acteurs de ce service public. Trop de travailleurs sociaux sont en souffrance. Nombre quittent leurs fonctions et ne sont pas remplacés, devant le peu d'attractivité de ces métiers, obligeant ainsi de nombreuses institutions à fonctionner sur un mode dégradé, en sous-effectif, et avec des personnels qui ne disposent pas toujours des qualifications requises.

Les associations gestionnaires qui les emploient sont elles-mêmes en grande difficulté faute de sécurité économique, et peinent à les remplacer. Les écoles de travail social du champ associatif comme les concours de recrutement de la fonction publique connaissent ainsi une préoccupante désaffection.

Madame la ministre, la crise est majeure. Les faits sont têtus, les chiffres parlent. « La maison brûle et on regarde ailleurs ! ».

Dans le dernier trimestre 2023, avec notamment nombre de professionnels, mais aussi d'institutions publiques en charge de conseiller les pouvoirs publics, nous avons appelé à des États généraux de la protection de l'enfance qui débouchent sur un « Plan Marshall ».

Il leur a été préféré la mise en place, en lien avec l’Association des départements de France, de cinq groupes de travail thématiques avec une échéance fixée à la fin juin 2024, soit la veille des Jeux Olympiques…

Vous observerez qu’aujourd’hui ce travail n'a toujours pas été engagé. Dès lors, on peut craindre qu'il ne débouche pas avant la fin 2024 quand déjà des mesures d’urgence s’imposent, pour desserrer l’étau financier des conseils départementaux et des associations, et maintenir en fonction nombre d’intervenants sociaux professionnels.

Décrets en attente

Une planification doit être dégagée alors même que les budgets des établissements pour 2024 font le plus souvent à peine l’objet d’une simple reconduction.

Mais d’ores et déjà, on peut agir à droit constant en prenant les décrets d’application encore attendus de la loi du 7 février 2022.

Il revient encore à l’État, non seulement de dégager des moyens supplémentaires pour assumer les missions qui relèvent de sa compétence, mais aussi de retrouver une administration territoriale à même d'exercer les responsabilités propres qui lui reviennent, pour notamment accompagner les départements en déficit d’expertise et de moyens.

Il y va de l'intérêt des enfants et des jeunes de ce pays, mais aussi tout simplement de la cohérence sociale. Comment attendre des enfants et des jeunes qu’ils partagent le projet républicain s’ils ont le sentiment d'être délaissés par la République ?

Une démarche interministérielle avait timidement été engagée sous le précédent gouvernement. Elle doit être plus que jamais incarnée et commencer à produire ses effets sur l'ensemble des territoires, y compris les ultramarins trop souvent mal lotis.

Nous sommes nombreux à y croire encore, et à vouloir redoubler d'engagement pour une cause hissée au rang de « priorité présidentielle », qui impacte tout notre pays.

Dans l’attente de vous développer ces éléments de réflexion et illustrer les pistes qui s’imposent, en saluant votre arrivée à ces responsabilités qui fait renaître l’espoir, nous vous assurons Madame la ministre de notre plus profond respect.

Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat honoraire, président d’Espoir-CFDJ et de LaVita, co-président de la commission enfances-familles-jeunesses de l’Uniopss, membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), et co-président de la commission Ultramarins – Expert Unicef

Maxime Zennou, directeur général du Groupe SOS jeunesse, délégué territorial aux Outre-Mer


Modifié le vendredi 16 février 2024

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